Le virage à 180°

J'ai commencé à boire à l'âge de 12 ans. Boire était facile, tout me plaisait dès le début. J'ai sauté dans le train tout de suite. C'était familier, c'était naturel. Dès qu'une sensation d'ivresse s'installait, les frissons parcouraient mon corps. J'oubliais que je bégayais, j'oubliais que j'étais anxieux, j'oubliais mes responsabilités, j'oubliais qui j'étais - j'oubliais. Jusqu'au lendemain matin où la réalité est venue frapper à ma porte avec de grands remords et de mauvaises décisions. Les soirées étaient aussi enivrantes que leurs lendemains qui sobres. Peu à peu, l'alcool s'est allié à une autre drogue de fête, ce qui a rapidement entraîné une descente exubérante dans les abysses d'une consommation pas trop récréative. Mon métier de barman a fortement encouragé ce mode de vie débauché. On se le dira : les lignes qui définissent une consommation non problématique dans l'industrie sont vite brouillées par l'ingestion excessive de tequila. Je dormais le jour, je travaillais et je me saoulais la nuit et je me réveillais tôt le matin. « Vivre vite, mourir jeune » était la devise.


La boule d’anxiété avec laquelle je vivais constamment est devenue insupportable et j’ai voulu obtenir de l’aide. J’ai fui Montréal en pensant que les problèmes resteraient à la maison, mais bien sûr, souhait vain. Après deux mois sans consommer de drogue, il a suffi d’une visite inattendue d’un vieil ami pour que je fasse une overdose. J’ai alors entamé plusieurs thérapies que j’ai laissées tomber dès qu’on m’a demandé de « dégriser ». Ma résolution pour 2018 a été d’arrêter de consommer de la drogue. C’était sans doute le premier pas vers une vie meilleure. La quantité d’alcool que je pouvais boire a diminué, mais je faisais toujours face à un grave problème d’alcoolisme. C’est donc après un chemin boueux rempli de très peu de hauts et de beaucoup de bas, que la course est finalement arrivée dans ma vie, apportant avec elle une lueur d’espoir. Mars 2020, pandémie mondiale : les seules choses à faire sont de me saouler ou d’aller jouer dehors, j’ai décidé, un matin, de m’habiller et d’enfiler une vieille paire de chaussures de basket pour aller faire mon jogging. Je n’aurais jamais imaginé l’impact que cette décision aurait sur ma vie. Courir était facile ; J'ai tout aimé dès le début. J'ai tout de suite pris le train. Le bon train.

Ça m’a fait du bien de réapprendre à vivre. J’ai découvert les parcs nationaux du Québec, les sommets des montagnes du New Hampshire et les soirées de camping au Vermont. J’ai respiré l’air frais des petits matins calmes. J’ai entendu le bruit de mes pas frapper le sol comme une mélodie apaisante. J’ai découvert des gens qui vivaient la même chose que moi; qui comprenaient mon désir de recommencer. Courir m’a permis de gérer mon anxiété et mon impulsivité. Courir m’a donné confiance en moi, confiance en la personne que je pouvais devenir. Courir m’a permis de prendre conscience de la force mentale qui était en moi. Si je pouvais courir 21 kilomètres, je pouvais aussi ne pas boire pendant 3 jours. De fil en aiguille, j’ai trouvé de nouveaux repères et j’ai compris pourquoi la vie valait la peine d’être vécue. J’ai trouvé mon X.

Il est important de souligner que les quatre dernières années n’ont pas été un long fleuve tranquille. Il serait hypocrite de ma part de prétendre que la course à elle seule a effacé mes problèmes de consommation. Mes vieilles habitudes néfastes ont refait surface plus de fois que je ne pourrais en compter. Ces comportements toxiques étaient tout ce que je connaissais en termes de protection dans les moments les plus difficiles. C’est donc une combinaison de thérapie, de patience, de résilience et surtout, d’amour qui m’a permis d’en arriver là aujourd’hui. J’avais des proches qui croyaient en moi, des employeurs qui m’ont appris à naviguer dans les vagues tumultueuses de mon industrie, des partenaires qui avaient eu beaucoup de patience et qui étaient prêts à m’écouter. Je ne serais pas là sans eux. Quant à la course à pied, elle m’a permis de vivre ma douleur en la canalisant en quelque chose de positif. Je cours maintenant pour toutes sortes de raisons : vie sociale, santé mentale et physique, effet méditatif, plaisir, mais aussi pour être un bon modèle pour mon entourage, pour mes neveux et pour l’enfant que j’aurai.

Cette 32ème année de vie, je la vivrai sobrement et je ne l'aurais jamais cru.

Alors laissez tomber la bouteille et mettez vos chaussures :)

par Cloé Champagne.